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Le concept de diffamation des religions répond à des objectifs politiques
20 mars 2009

Ce concept, vivement rejeté par les pays

Ce concept, vivement rejeté par les pays occidentaux, pourrait être finalement retiré du texte final après négociations. Pour Olivier Roy, directeur d'études à l'EHESS et spécialiste de l'islam, la lutte contre les diffamations des religions répond avant tout à des objectifs politiques.

Pourquoi les pays musulmans défendent-ils le concept de diffamation des religions ?

Olivier Roy : Il y a des siècles, la religion catholique utilisait le concept de blasphème. Avec la sécularisation, l'Occident a fini par accepter la critique de la religion chrétienne. Dans le fond, ce qui est en jeu, ce n'est pas la religion. Il y a une ambiguïté profonde sur ce concept de diffamation des religions, qu'on retrouve dans le terme islamophobie. On est au croisement de deux idées : de la blasphémie, attaque contre une religion, et du racisme, l'attaque contre un groupe ethnique.

Mais cet amalgame est également présent dans les esprits occidentaux ?

Oui, cela vient de la construction des musulmans en Europe comme groupe néo-ethnique. On dit les "musulmans", on ne dit plus les Arabes ou les Turcs. C'est une reconstruction : on prend un marqueur religieux, l'islam, pour caractériser un groupe qui est ethniquement différent aux yeux des gens.

Le débat autour de la critique des religions, apparu à la suite de l'affaire des caricatures de Mahomet, n'est pas un débat sur l'islam en général. C'est un débat qui est apparu dans ce contexte des minorités musulmanes d'Europe. Ces minorités, ne pouvant utiliser le concept de blasphémie, tombé en désuétude, se rabattent sur les lois antiracistes. Le terme d'islamophobie est né dans le débat européen, avant d'être récupéré par des dirigeants politiques du monde musulman.

Le débat ne se situe donc pas uniquement sur le plan religieux...

Dans les pays musulmans, c'est une question qui est beaucoup plus politique que religieuse. L'attaque contre l'islam est liée dans leur esprit au néo-colonialisme, à l'impérialisme. Par exemple, quand Ben Laden va parler de l'islam , il en parle en termes politiques : "l'envahisseur américain attaque les musulmans", il n'en fait pas une question théologique.

On peut voir qu'un certain nombre de régimes qui soutiennent cette notion de diffamation des religions sont des régimes autoritaires, qui utilisent ce concept pour limiter les libertés. Mais cette récupération n'est pas seulement le fait de régimes autoritaires musulmans, un certain nombre d'autres Etats ont des lois contre la diffamation des religions, comme l'Inde.

Quel est l'objectif de ces régimes ?

Ce débat va bien au-delà de l'islam. Tous les pays qui utilisent le concept de "clash des civilisations" veulent affirmer leur singularité. Affirmer que leur civilisation est différente permet de présenter la démocratie et les droits de l'homme comme des idées purement occidentales, culturelles. Ce type d'argument est utilisé par des dirigeants chinois, singapouriens ou d'Afrique centrale.

La revendication contre la diffamation des religions est construite par des élites qui reprennent un sentiment populaire largement répandu pour le retourner contre leur propre population. Un cas d'école de démagogie. Le concept de diffamation des religions limite par essence la liberté d'expression. C'est un des buts de l'opération.

La confusion entre blasphémie et racisme n'est pas entretenue que par des cadres musulmans, mais aussi par certains catholiques. Quand l'Eglise catholique porte plainte contre l'utilisation de la Cène pour des publicités, il s'agit de la même logique. Ils n'ont pas porté plainte pour blasphémie, mais pour atteinte au sentiment d'un groupe, grâce à des lois prévues pour lutter contre le racisme. Aujourd'hui, pour se défendre contre ce qu'elles perçoivent comme une attaque, les religions utilisent le cadre de l'anti-racisme. On pourrait parler d'un retournement des droits de l'homme contre eux-même.

Sur le thème des rapports entre religions et culture, Olivier Roy a publié La Sainte Ignorance, aux éditions du Seuil.

Olivier Roy, directeur d'études à l'EHESS et spécialiste de l'islam
LEMONDE.FR | 19.03.09 | 12h37  •  Mis à jour le 19.03.09 | 12h37

Propos recueillis par Rémy Maucourt

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Le concept de diffamation des religions répond à des objectifs politiques
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